Arrabal: se nourrir de la souffrance

FERNANDO ARRABAL

(1932)

LETTRE AUX SAVANTS DU MONDE ENTIER

Messieurs,

Avant de mourir, je tiens à vous faire une révélation importante, afin que vous puissiez prendre les mesures qui s’imposent.

J’ai subi une opération qui m’a causé de très vives douleurs. Au moment où je souffrais le plus, je suis par­venu à identifier des êtres immatériels. J’ai pu vérifier que ces êtres se « nourrissaient » de mes souffrances. Je suis arrivé, après de multiples expériences, à la conclu­sion suivante : ces êtres vivent dans notre entourage et, par pur instinct de conservation, ils tendent à provoquer des souffrances chez les hommes. Pour y parvenir, ils essaient d’augmenter tant nos détresses morales que nos souffrances physiques.

Parfois, quand, enfermé dans ma chambre, je réussis à voir ma pensée (c’est une masse d’eau qui flotte), et mon espoir (c’est une main coupée), j’aperçois aussi ces êtres immatériels : ils ressemblent à des mouchoirs de papier (kleenex) qui volent.

J’espère que, grâce à mes observations, vous vous trouverez bientôt en mesure de lutter contre ce terrible fléau de l’humanité.

Veuillez agréer, Messieurs, mes salutations distinguées.

 

Jean Orizet, Les poètes et le rire, Le cherche Midi éditeur, 1998, p. 19.

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