Définition de la position psychique narcissique paradoxale normale, individuelle et collective (Jean-Pierre Caillot, 1982, 1989, 2004)

La position narcissique paradoxale normale est caractérisée par la réussite du conflit et du deuil originaires.
Dans cette position se déploie le conflit des origines dans sa modalité paradoxale ouverte, c’est-à-dire ambiguë et transitionnelle. On assiste à l’enclenchement du deuil originaire.
Ambiguë, car coexistent pacifiquement un antœdipe précoce tempéré, normal, centré par l’autoengendrement et un pré-œdipe centré par l’engendrement.
Transitionnelle, car on assiste au passage de l’adhésivité à l’objet à l’entrée dans un processus de différenciation-séparation et celui du deuil originaire. Ce dernier se poursuivra dans la position narcissique schizo-paranoïde pour s’établir dans la position dépressive.
Le conflit originaire, rappelons-le, « désigne le conflit des origines qui, selon Racamier[1], s’organise primitivement dans le cadre de l’antœdipe, et qui préside à l’établissement dynamique (et tout d’abord « embryonnaire ») de la reconnaissance immanente (ou du déni farouche) de ses propres origines et par là de son existence. » Les contraires forces d’unisson et de séparation-différenciation s’affrontent.
Tandis que le deuil originaire se définit, selon le même auteur comme « le processus psychique fondamental par lequel le Moi dès ses prémices, avant même son émergence et jusqu’à la mort, renonce à la possession totale de l’objet, fait son deuil d’un unisson narcissique absolu et d’une constance de l’être indéfinie, et par ce deuil même, qui fonde ses origines, opère la découverte ou l’invention de l’objet, et par conséquent de soi, grâce à l’intériorisation. Le Moi établit donc ses origines en reconnaissant qu’il n’est pas le maître absolu de ses origines. Il se découvre en se perdant ; tel est le paradoxe identitaire. »
Le deuil originaire est évidemment à rapprocher du déclin de l’omnipotence infantile de la position dépressive de Klein.
Dans le registre pré-œdipien les relations d’objet-sensation possèdent une défense rythmique ambigüe contre, à la fois, les angoisses primitives claustrophobique et agoraphobique ; cette défense est caractérisée par des investissements oscillants narcissiques centripètes et antinarcissiques centrifuges.
Dans le registre antoedipien précoce la défense est assurée par l’omnipotence infantile défensive contre la dépendance infantile à l’objet de l’œdipe précoce.
L’hyperdépendance adhésive à l’objet-sensation de l’œdipe est combattue par l’omnipotence infantile de l’antœdipe. Les rapports générationnels sont normaux dans le secteur œdipien et inversés dans celui de l’antœdipe.
Précocement l’œdipe contrebalance l’antœdipe.
La symbolisation est transitionnelle de structure ambiguë.
Cette position psychique de l’ambiguïté est génétiquement antérieure à la position schizo-paranoïde de M. Klein. Elle appartient à la fois à l’ordre du corporel et du mental. Elle est à rapprocher[2] du système protomental de W. R. Bion, des positions glischro-caryque de J. Bleger et adhésive d’E. Bick, ainsi que des phénomènes intégratifs primaires de F. Tustin.
Cette position est le lieu de la transformation psychique de la sensation comme objet, confondue avec la substance corporelle du sujet, en objet consensuel et contenant, en peau psychique, en enveloppe psychique.  Elle sera à l’origine des prémisses de l’objet partiel de la position schizo-paranoïde.
Elle est aussi le lieu du passage de la bidimentionnalité à la tridimensionnalité.
Cette position se situe dans le registre normal de l’adhésivité, de la séduction narcissique et de l’emprise.
Lorsque les interdits symboliques familiaux du meurtre et de l’inceste fonctionnent de manière satisfaisante, les conditions nécessaires à la réalisation de rythmies intersubjectives optimales peuvent advenir ainsi que la formation d’une contenance adéquate. L’absence d’agirs incestuels ou meurtriels transsubjectifs définit la position narcissique paradoxale normale, annonciatrice des premiers clivages stables de la position schizo-paranoïde.
Cette ambiguïté initiale est nécessaire à la construction de l’ambivalence de la position dépressive et de l’intrication pulsionnelle.
Dans cette position la nature du transfert est ambiguë ; en effet, l’objet transférentiel appartient à la fois au registre œdipien et antoedipien normal.

[1] Racamier, P-C., Cortège conceptuel, Paris, Apsychée, 1993, p. 26.
[2] Caillot J-P., « La position narcissique paradoxale », Groupal, 2004, 15, pp. 183-184.

La position psychique narcissique paradoxale pathologique individuelle et collective 

( J. – P. Caillot, 1982, 1989, 2004)

C’est dans cette position que se décline la clinique du traumatique de l’inceste et du meurtre, de  l’incestuel et du meurtriel.
Elle se superpose au continent de l’antœdipe pathologique.
La topique interactive ou espace paradoxal transsubjectif pathologique[1],  illustré par les processus d’engrènement et de participation confusionnelle, se déploie dans les registres pervers et/ou psychotique ; les défenses y sont paradoxales et transsubjectives .
La position narcissique paradoxale pathologique est une représentation théorique de l’échec de la résolution du conflit originaire et de celui de l’enclenchement du processus de deuil originaire.
Cette modalité paradoxale fermée de cette position narcissique primaire pathologique ne permet ni à la tendance à l’indifférenciation ni à celle de la différenciation de s’opposer, de former des entités différenciées et contraires tels que le corps commun familial et le corps individuel car la paradoxalité des agirs meurtriels et incestuels l’en empêchent.
Dans cette position pathologique, ce sont des formations antagonistes qui opèrent ; elles sont spécifiques à la paradoxalité et celles-ci ne sont ni opposables ni conciliables.
Ainsi, se développent ligatures et ruptures relationnelles paradoxales pouvant se formuler par des paradoxes tels que « nous ne sommes ni ensembles ni séparés »  ou    « vivre ensemble nous tue, nous séparer est mortel » ou bien encore « nous ne possédons ni un corps commun ni un corps propre ».
Dans cette position, la puissante capacité de confusion entre les êtres, les générations, les genres, les vivants et les morts et aussi entre les relations de pouvoir est considérable, que ce soit dans le registre pathologique de la psychose ou dans celui de la perversion. La place et le rôle de chacun dans le couple, la famille, l’institution, la société en sont gravement perturbés.
Les fixations psychiques à cette position contrarient massivement toute évolution vers le processus de différenciation œdipien et l’émergence des fantasmes de scènes originaires.
Cette position se situe en-deçà de la position narcissique schizo-paranoïde.
Le renversement des rapports de contenance parents-enfants est corrélé au renversement générationnel ; le renversement de la temporalité et de la causalité psychiques est aussi corrélées aux précédents renversements . Lorsque le fantasme-non-fantasme du parent est d’être l’enfant de son enfant et qu’il rencontre celui de l’enfant d’être le parent de son parent, la parentification de l’enfant advient.
Ainsi les fantasmes-non-fantasmes d’auto-désengendrement et d’auto-engendrement familial centrent cette position et sont à l’origine du fantasme-non-fantasme de renversement générationnel. Les agissements d’autodésengendrement et d’auto-engendrement des parents  activent chez l’enfant les mêmes fantasmes-non-fantasmes.
La relation d’objet narcissique paradoxal traumatique incestueuse/incestuelle ou/et meurtrière/meurtrielle luttent contre les  sensations ou les angoisses catastrophiques primitives pathologiques de claustrophobie et d’agoraphobie grâce aux défenses paradoxales transsubjectives.
L’excitation et le vide[2] psychiques sont défensifs contre la mentalisation, le surgissement de fantasmes insoutenables.
Le mode de défense paradoxal fondamental contre les sensations ou les angoisses primitives catastrophiques,  l’agonie psychique individuelle et collective est celui de l’oscillation des investissements narcissiques : l’investissement antinarcissique de l’objet tente de protéger le sujet contre les sensations ou les angoisses catastrophiques d’abandon, de laissé-tombé mortel,  tandis que l’investissement narcissique du sujet lutte contre les sensations ou les angoisses catastrophiques du trop-serré étouffant, du rapproché gobant de l’objet.
Cette défense par l’oscillation entre le sujet et l’objet, dont le rythme pathologique variable, trop lent ou trop rapide, est essentielle ; elle caractérise la position narcissique paradoxale pathologique qui présente donc un clivage fondamentalement instable contrairement à la position schizo-paranoïde qui elle, possède un clivage stable.
Le fantasme-non-fantasme d’injection projective (Racamier) souvent rencontré dans cette position paradoxale fait partie de la structure défensive[3] ; sa source peut être un individu ou un collectif, viser un objet individuel ou collectif comme on le voit dans de nombreux exemples de racisme sous des formes diverses. L’injection projective aliénante est à l’origine de confusion paradoxale dans l’objet ( par exemple l’enfant de remplacement ).
Le sentiment et l’affect paradoxal, tel que des sentiments à la fois de nullité et de mégalomanie, appartient à cette position et uniquement à elle, ainsi que les affects très violents de triomphe et de honte, de culpabilité.
Les fantasmes-non-fantasmes de sacrifice, d’envie, de jalousie et d’avidité pathologiques  y sont constamment constatés.
Rappelons que le Surmoi paradoxal lutte à la fois contre le plaisir et la croissance et contre l’autorité, la loi ; tandis que l’Idéal du Moi paradoxal détermine un vécu à la fois de nullité et de mégalomanie. Surmoi et Idéal paradoxaux peuvent aussi appartenir à une formation collective telle qu’un couple, une famille, un groupe.
L’abus narcissique, la prédation narcissique et l’usurpation identitaire sont présents.
Une tension transsubjective psychotique et/ou perverse est concomitante ; un corps commun paradoxal se construit.
La désintrication pulsionnelle est réalisée. Nous parlerons ici d’univalence pulsionnelle.
La paradoxalité de la famille antœdipienne pathologique fait le lit des différentes pathologies individuelles narcissiques graves telles que psychose, perversion, psychopathie, addiction, troubles des conduites alimentaires et somatose.  Elle génère aussi des pathologies collectives psychotiques et/ou perverses où la production commune d’objet-sensation auto-généré hypernarcissique possède à la fois une capacité destructrice et salvatrice (l’objet-sensation autogénéré a une double fonction de protection, à la fois bouée de sauvetage contre la noyade et air-bag contre le choc mortel).
Les secrets pathologiques de famille, d’institution et de société sont des formations psychiques antœdipiennes pathologiques ; ils appartiennent à cette position narcissique paradoxale pathologique.
Lorsqu’il y a symbolisation, la voie utilisée est celle des équations symboliques de Segal. La défantasmatisation, la désymbolisation se produisent dans cette position.
Elle  est aussi le lieu de la compulsion de répétition aliénante, du transfert paradoxal et du contre-transfert de même nature.

[1]   Caillot J. – P. (2015), Le meurtriel, l’incestuel et le traumatique, Paris, Dunod, p. 85.
[2]   Mc Dougall Joyce (1989), Théâtres du corps,  Paris, Gallimard, pp. 156 -177, le cas Tim.

 

Le transfert et contre-transfert ambigu (J.-P. Caillot, 2017)

Le transfert ambigu est à la paradoxalité ouverte ce que le transfert paradoxal est à la paradoxalité fermée (D. Anzieu,1975).
Dans le transfert ambigu l’objet transférentiel recueille deux représentations opposées qui coexistent pacifiquement car elles sont non-opposables et conciliables comme par exemple, l’engendrement et l’autoengendrement (voir l’observation de Phénix, dans Le meurtriel, l’incestuel et le traumatique p.3 et p.28).
La relation transférentielle est caractérisée par la possibilité d’être à la fois dans le registre œdipien et antoedipien tempéré.

Dans le transfert paradoxal l’objet transférentiel reçoit des représentations qui ne sont ni opposables ni conciliables comme par exemple l’image paradoxale de père-non-père du père incestueux/incestuel ; la relation transférentielle est alors caractérisée par l’impossibilité d’être ensemble et celle d’être séparé ou bien encore par le fantasme/ou le fantasme-non-fantasme suivant : vivre ensemble tue et se séparer est mortel.

Le meurtriel:

Nous avons décrit en 1996, l’incestuel meurtrier et ses équivalents de meurtre. (J.-P. Caillot, « L’incestuel meurtrier », Groupal,1997,3, pp.17-25.)
Le meurtriel désigne et qualifie ce qui, dans la vie psychique individuelle, familiale et groupale, ainsi qu’institutionnelle et sociétale, porte l’empreinte du meurtre non fantasmé, sans qu’en soient nécessairement présentes les formes physiques.
Nous invitons le lecteur à consulter « Le meurtriel, l’incestuel et le traumatique » (pp.36-41) pour découvrir à l’aide d’exemples cliniques les différentes formes d’agir meurtriel, notamment les violences physiques intra-familiales et intra-couple, l’abandon réel, les disqualifications.

Les fantasmes transitionnels:

Les fantasmes transitionnels antoedipiens et œdipiens ont en commun le fait que les registres œdipien et antoedipien coexistent pacifiquement car ce sont des fantasmes ambigus où ces formations opposées sont conciliables et non-opposables.
Les fantasmes originaires dans leurs éditions premières, organisateurs de la lignée œdipienne, présentent ces caractéristiques. Nous parlerons alors de fantasmes transitionnels œdipiens où l’essentiel du fantasme est centré par l’engendrement et où les représentations générationnelles sont dans l’ordre des choses ; néanmoins l’engendrement cohabite avec l’autoengendrement dans la mesure où l’enfant assiste à sa propre procréation.
Les fantasmes transitionnels antoedipiens symbolisés et scénarisés sont les formes les plus abouties des fantasmes antoedipiens. Ils assurent la transition entre l’antœdipe pathologique et l’antœdipe normal ; ils marquent donc un passage fondamental et ont un caractère mutatif.
Voir sur notre site les fantasmes antoedipiens dans « Une nouvelle sémiologie du fantasme » de J.-P. Caillot ou le livre Le meurtriel, l’incestuel et le traumatique (J.-P. Caillot, Dunod, 2015).

La communauté du mensonge

La communauté du mensonge, à distinguer de la communauté du déni ( M.Fain ), désigne une formation collective ( couple, famille, groupe, institution ) où un mensonge est partagé. Il s’agit, le plus souvent, d’une manœuvre perverse groupale.