« Oublions tout ce qui a été dit du nazisme. Voici son image première : de l’épaisseur d’un énorme néant surgit un hurlement ; on entend des cris, sans savoir s’ils proviennent de ceux qui donnent les ordres ou de ceux qui les reçoivent et crient sous la pression ; des bras se lèvent, mais on ne voit pas si ce sont les bras des bourreaux qui tuent ou ceux des victimes qui se défendent. Le silence s’établit pour un instant ; on n’en ignore l’origine, comme on hésitait auparavant sur celle des cris. C’est le néant lui-même qui profère son hurlement et qui produit ensuite le silence, lorsqu’il absorbe ses propres cris. Puis un nouveau cri sort brutalement du néant, un cri qui n’est que cri : le néant se déchire pour déchirer l’objet qu’il frappe, une famille par exemple, qu’il disperse en hurlant ; ou c’est le cri qui s’abat sur tout un peuple, et le ravage.
(…) À tous cris il importait peu que l’ordre fut exécuté, que l’ordre se transcrivit dans la réalité ; seul importait que des cris fussent proférés en tous sens : le néant en se déchirant diffusait des cris, se dilatait en cris et par ses cris détruisait tout ce qu’il touchait. »
Max Picard, L’homme du néant, édition de la Baconnière, Neuchâtel 1946, p. 19.