Gomez de la Serna: La dame de compagnie toxique

[Dans son livre Le docteur invraisemblable, Ramon Gomez de la Serna, un écrivain espagnol du début du XXème siècle, décrit avec beaucoup d’humour, des consultations imaginaires auxquels est appelé, en dernier recours, ce médecin extraordinaire. L’une d’elles concerne une jeune fille souffrant de toute une cohorte de maux. Après de subtiles manœuvres d’approche, la patiente, jusque-là mutique, daigne enfin parler au médecin. Voici la consultation, qui a lieu chez la patiente.]

  • Je sors tous les soirs avec une dame de compagnie dit [la patiente] dans la conversation.
  • À quelle heure vient cette personne ?
  • À cinq heures. »

Je l’attendis. Je désirais, je ne sais pourquoi, voir la dame en question

  • Mademoiselle… Doña Rosa est ici, vint annoncer la femme de chambre.
  • C’est la dame de compagnie ?
  • Oui, répondit-elle. »

Je la priais :

  • Voulez-vous me faire le plaisir de la faire entrer ?
  • Faites entrer Doña Rosa, dit-elle à la femme de chambre.

Doña Rosa entra. C’était une vieille femme longue, misérable, qui semblait avoir une fausse tête couverte d’une perruque en coton…

  • Asseyez-vous, Doña Rosa », dit ma malade.

Doña Rosa me regardait avec méfiance et sans oser parler. Elle répandait tout autour d’elle un tourbillon noir, et elle ne s’arrêtait d’avaler l’air. Je n’ai jamais vu quelqu’un respirer avec plus d’avidité et plus de précipitation.

  • « Non seulement Doña Rosa m’accompagne en promenade, mais elle est ma lectrice et elle me veille pendant les heures où je succombe à mon mal… »

Doña Rosa entendit ma malade dire cela, et elle me regarda comme les aigles regardent un passant du fond de leur cage.

  • Je vous laisse donc seules.

Je pris congé, me dirigeant vers le bureau du vieux père de ma cliente.

  • Écoutez-moi, lui dit-je. Il faut renvoyer cette dame de compagnie… C’est elle qui absorbe la vie de votre fille… Cette femme est elle-même une maladie… Les Misses sèches de l’univers, les nourrices sèches les plus néfastes, car elles s’alimentent de la vie de celles qu’elles ont pour mission d’accompagner. »

En effet, quelque temps après le renvoi de cette doña Rosa, ma cliente se remit. »

 

[1] Ramon Gomez de la Serna, Le docteur invraisemblable, Ed. Gérard Lebovici, Paris, 1984, p.132.

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