V. Havel : la néantisation lente

« Il n’est donc pas vrai qu’ici on ne fasse pas la guerre ou qu’on n’assassine pas, seulement ici, la guerre et le meurtre ont une autre allure : ils sont déplacés hors de la sphère des faits existants observables vers la grisaille de leur destruction intérieure inobservable. Comme si la mort unique, absolue, pour ainsi dire “classique”, caractéristiques des histoires (mort mystérieusement capable, malgré toute son horreur, de donner un sens à la vie humaine), était refoulée par la mort lente, discrète, ni sanglante ni tout à fait absolue, terriblement omniprésente, que constituent la “non-action”, la “non-histoire”, la “non-vie” et le “non-temps” : une espèce d’étrange néantisation sociale et historique, collectivement meurtrière – ou plus exactement mortifère. Cette néantisation altère la mort en tant que telle et par même coup, la vie en tant que telle : la vie de l’individu se réduit au fonctionnement uniforme d’une des pièces d’une grande machine et sa mort équivaut à son exclusion hors du processus de marche.

Tout tend à prouver que cet état de choses constitue une manifestation essentielle, voire un produit direct du fondement du système totalitaire avancé et stabilisé. »

Vaklav Havel, 1978.

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