Malaparte: face au SS

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« L’homme de Himmler se taisait ; il me regardait en silence ; et, peu à peu je m’aperçus qu’un bizarre sourire, timide et très doux, humectait ses lèvres fines et pâles. Il me regardait en souriant. Tout d’abord je pensais qu’il me souriait à moi, que, réellement, il me regardait en souriant ; mais, tout à coup, je m’aperçus que ses yeux étaient vides, qu’il n’écoutait pas les paroles des invités, qu’il n’entendait pas le bruit des voix et des rires, le tintement des fourchettes et des verres, ravi comme il l’était dans le ciel élevé pur de la cruauté (cette « cruauté souffrante » qu’est la vraie cruauté allemande), de la peur, de la solitude. Pas ombre de brutalité dans ce visage, mais une timidité un égarement, une solitude merveilleuses, émouvantes. Il avait le sourcil gauche relevé en angle aigu vers le côté du front. Un froid mépris un orgueil cruel tombait à pic de ce sourcil levé. Mais ce qui fondait ensemble toutes les marques et tous les mouvements de son visage, c’était cette cruauté souffrante, cette merveilleuse et triste solitude

À un certain moment, il me sembla que quelque chose fondait en lui, que quelque chose de vivant et d’humain, une lumière, une couleur – un regard, peut-être, un regard d’enfant – naissait au fond de ses yeux vides. J’avais l’impression qu’il descendait lentement, semblable à un ange, de son ciel élevé, écarté, infiniment pur. Il descendait comme une araignée, comme un ange-araignée, le long d’un haut mur blanc. Comme un prisonnier se laissant glisser le long du au mur à pic de sa prison.

Son visage pâle exprimait petit à petit comme une humiliation profonde. Il sortait du fond de sa solitude comme un poisson de son trou. Il nageait vers moi en me regardant fixement. Une sympathie inconsciente commençait de se mêler au sentiment d’horreur que m’inspirait son visage nu, son regard blanc ; je me mis à le considérer avec une espèce de pitié, prenant un plaisir morbide au mélange d’horreur et de sympathie que ce monstre pitoyable suscitait en moi.

 

  1. Malaparte, Kaputt, Denoël 1946, p. 98.

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